Kava, la boisson des ancêtres et des dieux

En Océanie, le kava est un esprit… Un esprit sacré, donné aux hommes par les ancêtres ou les dieux. Sur les autres continents, d’Europe et d’Amérique du Nord, le kava ce sont des molécules utiles et transformables, des gélules destinées à calmer l’anxiété générée par les villes.

Le kava appartient à la famille des poivriers, l'usage depuis des millénaires est d'en consommer une boisson extraite de ses racines. Tour à tour médiateur avec le monde des ancêtres, offrande coutumière qui affirme la paix et maintient l'harmonie, plante médicinale aux multiples propriétés, le kava est un des piliers culturels de certaines sociétés, comme le Vanuatu ou Fiji, où il est consommé quotidiennement, de manière très ritualisée.

Devenue une plante très prisée dans la phytothérapie aux Etats-Unis et en Europe dans les années 90, il a été interdit en 2001 à la suite d’accidents hépatiques survenus en Allemagne. Cette situation — qui a profondément déstabilisé les fragiles économies insulaires — résultat d’une mauvaise utilisation de la plante, couplée à des mélanges incontrôlés de la part des utilisateurs est aussi le reflet de la profonde incompréhension qui a pu naître entre un savoir traditionnel et son utilisation par les nations industrialisées. Depuis, de nombreuses études et recherches ont expliqué ces faits et ont permis de définir des normes de qualités pour redonner au kava sa crédibilité.

Un nouveau kava à Fiji : goût goyave ou banane

Lorsque l’on connaît (et apprécie malgré tout) ce goût acre, un peu poivré, indéfinissable du bon kava, on ne peut que s’interroger sur ce que donnera un kava aromatisé à la noix de coco, à l’ananas, à la goyave ou à la banane !

C’est ce que propose une société fidjienne South Pacific Elixirs Limited, basée à Levuka, qui vient de lancer, en juillet, une nouvelle gamme de boissons à base de kava pour en retirer ce goût particulier. On l’appelle Taki Mai. Une manière, selon le Premier ministre fidjien, Franck Bainimarama, de créer des emplois en milieu rural et d’innover pour la filière du kava.

L’interdiction du kava en Europe et aux Etats-Unis dans les années 2000, a engendré d’énormes pertes pour les économies fragiles du Pacifique, près de trois milliards de dollars US.
Une décision émanant du Tribunal fédéral administratif allemand de Cologne a lancé le mouvement, en estimant, en substance, que les interdictions imposées depuis 2002 ne se basaient pas sur des données scientifiques irréfutables. Il aura fallu douze ans pour rétablir la vérité sur le kava.

Une manifestation des soutiens du kava, à Berlin en 2004, organisée par l'Ikec (International Kava Executive Council).

C'est à la nuit tombée que se boit le kava

Une fois rencontré, le kava vous habite. Ce goût, cette odeur âcre et poivrée vous traverse.

Le kava, découvert par les femmes dans la plupart des mythes est une affaire d’homme dans le pacifique. En tant que femme, je n’ai pas toujours pu en boire au Vanuatu, car certaines îles comme Tanna, l’île de cendres ou Gaua, l’île mythique des Banks, en observent toujours le tabou. Ailleurs, à Port-Vila la capitale, également à Santo ou Malakula, les femmes sont admises dans les nakamals.Mais c’est à Nouméa que je l’ai découvert.

Nous avions un merveilleux professeur de bislama (ce pidgin parlé au Vanuatu) qui un soir a voulu nous faire « parler avec les ancêtres », dans un nakamal près de la baie de l’Anse-Vata, à Nouméa, là où l’on se croise au crépuscule, près des multiples petits feus abrités par un immense banian. Cette première expérience fut presque fatale. Trop de shells, ces coupes en noix de coco que l'on boit d'un trait, trop rapidement… Il aura fallu deux ans d’abstinence avant de comprendre le kava, le laisser couler le long des muscles, obtenir cet état parfait, « l’esprit clair et le corps engourdit », pour savoir le doser selon le « cru » du jour. Pour savoir aussi éviter le mauvais, le « bad kava ».

Afin de donner des clés sur le kava aux Européens qui le consommaient tous les soirs à Nouméa, Laurence Viallard, la créatrice des éditions Grain de sable, m’avait demandé de rédiger un petit livre. Mes premiers pas dans le monde du kava m’ont conduite sur des territoires que je ne soupçonnais pas. Le kava est un esprit dit-on… Si vous entrez, dans son univers, il ne vous quittera plus.

De retour en France, le kava m’a accompagné. L’idée de lui consacrer un livre plus important aussi. C’était en 2001. Dans les dernières années du siècle, le kava s’était bien introduit dans la pharmacopée occidentale. Trop bien. Trop vite. Mal encadré, détaché de son contexte culturel et des savoir-faire traditionnels, il gênait aussi.

Incriminé dans des accidents hépatiques survenus en Allemagne, il est alors brutalement interdit dans le plupart des pays européens et en Amérique du Nord. Cette décision laissa les Mélanésiens médusés. Comment ce breuvage qu’ils consomment quotidiennement depuis plus de 3000 ans peut-il être ainsi dévalorisé, traité comme une substance dangereuse ? Voire une drogue ? Leur fragile économie est destructurée, la confiance envers leur trésor vert est perdue.

Que s’est–il passé dans les laboratoires ? Que s’est-il joué bien en amont dans les plantations de kava et sur les petits ports d’où les précieuses racines devaient partir pour les grandes métropoles ? Pourquoi l’histoire s’est-elle ainsi emballée ?

Aujourd’hui le kava, après une longue enquête est réhabilité. L’interdiction qui le frappait est bientôt levée en Europe.

Ce blog lui est dédié. Il présentera aussi le nouveau livre qui est en cours de réalisation, « Kava, la boisson des dieux et des ancêtres ».

Et si vos pas vous conduisent sur les îles d’Océanie, si vous sacrifiez vous aussi au rituel du kava, lorsque la nuit tombe, dans le demi silence, peut être entendrez-vous un murmure… Celui des ancêtres, celui du Pacifique.